Les mots portent et donnent du sens.
Commémorer, c’est certes se remémorer collectivement, se souvenir de ceux qui ont payé de leur vie ou paient de graves traumatismes la folie meurtrière de fanatiques. Cela entre dans le devoir de mémoire comme entre dans ce devoir, avec recul, l’analyse de l’événement lui-même afin de mieux le comprendre et se prémunir contre son retour.
Je crains hélas, que faute précisément de cette réflexion collective ou pour des raisons moins avouables, ne soit entretenu un climat de suspicion en direction d’une partie de la population et une psychose auprès d’une autre. je m’appuie pour dire cela sur les propos que j’entends autour de moi et qui sont portés par des personnes de bonne foi mais aussi par des partis français, européens ou même américains, qui le sont moins et jouent sur des peurs légitimes – non raisonnées comme la plupart des peurs- afin de développer un climat délétère à leur profit.
De plus, certains de nos gouvernants, pour donner le sentiment qu’ils agissent, ouvrent la voie à cet état de fait en classant les Français en deux catégories et en proposant la déchéance de nationalité pour des binationaux impliqués dans le terrorisme.
Or,quel impact cette déchéance pourrait-elle bien avoir sur les « fous de Dieu » qui ont décidé de se faire sauter dans un lieu public fréquenté par la foule? Quant aux autres qui les manipulent, les reconduire dans leur supposé pays d’origine ne servirait à rien. Il en adviendrait comme pour l’amant de Musset: « quand on le chasse par la porte, il revient par la fenêtre ».
L’hyper terrorisme actuel constitue un test pour nos démocraties. Pour autant qu’il y ait nécessité de se défendre, y compris en instaurant pour un temps donné un état d’exception, on ne saurait transgresser le préambule de la constitution qui énonce dans son article premier: « La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale » en institutionnalisant une citoyenneté à deux vitesses. En effet, c’est précisément nos principes démocratiques que les attentats visent. Or, on ne peut ignorer non plus l’article premier de la Déclaration Universelle des Droits de 1948: » Tous les êtres humains naissent libres et égaux en dignité et en droits. Ils sont doués de raison et de conscience et doivent agir les uns envers les autres dans un esprit de fraternité ».
Si ces derniers ne le font pas, « le légitime souci de sécurité, d’une part, ne colmatera pas les fissures béantes par un simple renforcement des pouvoirs de police et ne peut être disjoint du souci de rétablir les bases de la justice sociale et de la volonté de défendre nos valeurs les plus hautes » [M. Terestchenko, maître de conférences à l’université de Reims in l’Huma du 11/01/16].
On ne peut davantage bafouer les articles 12 et 16 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen du 26 août 1789: « La garantie des droits nécessite une force publique »…. « Toute société dans laquelle la garantie des droits n’est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n’a point de constitution ».
Quels que soient ses mérites dans cette période où elle aussi paie un lourd tribut, on ne peut laisser la force publique seule juger de ce qu’il convient de faire et mépriser l’article 16 de la Déclaration qui acte fondamentalement la séparation des pouvoirs entre l’exécutif, le législatif et le judiciaire, garantie suprême des droits des humains, principe posé par Montesquieu dans l’Esprit des Lois (1748) et repris par les Déclarations des Droits de 1789 et 1948.
Faire abstraction de cela serait, à mon sens un grave recul démocratique et conforterait ceux qui ont pour objectif de déstabiliser notre régime afin d’imposer leur dictature théocratique.
C’est la Révolution Française qui, en 1790, lors de la Fête de la Fédération au Champ de Mars, avait pour la première fois rapproché les 3 mots de notre devise LIBERTE, EGALITE, FRATERNITE. Bien que cela soit un peu redondant, ajoutons-y le mot LAICITE.