Victor HUGO: « ET NOX FACTA EST » [dans La Fin de Satan] ou les convulsions d’un cétacé.

Dur à entendre, et surtout à admettre, pour tous ceux qui ont souhaité faire de La Baleine un outil de rayonnement culturel pour la ville d’Onet et pour Rodez Agglomération, pour tous ceux qui ont oeuvré à la conception et à l’ouverture de cette salle, pour tous les musiciens, les danseurs et les artistes,les professionnels intermittents ainsi que les spectateurs, pour tous ceux qui à ce jour ont unanimement salué les qualités scéniques et acoustiques, il est dur de s’entendre dire que les 300 000 € de programmation sont insupportables et qu’il vaut mieux consacrer ces sommes à la sécurité.

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Quel est le problème d’insécurité à Onet? J’étais moi-même vice- président du CISPD et je peux affirmer sans risquer d’être démenti qu’il ne s’y passait rien qui puisse justifier une telle alarme sinon à trop écouter les medias et se croire cerné, comme dans telle ou telle banlieue réputée « chaude », de révoltes incontrôlables.

De plus, lorsque j’entends, et cela peut s’entendre, que le coût de la programmation est trop élevé face aux désengagements financiers de l’Etat envers les collectivités territoriales, je suis convaincu que, dans le cadre de l’intercommunalité, puisque la salle répond clairement à un besoin avec un remplissage de 70 à 80% de Grands Ruthénois pour des spectacles de qualité qu’on ne retrouve pas ailleurs, qu’une convention avec l’agglomération pourrait aider au financement tout en préservant une politique tarifaire accessible au plus grand nombre. C’est cela une réelle démocratisation de la culture et non une vulgarisation qui consisterait à confondre culture et simple animation. L’animation a ses mérites qui n’ont pas le même objectif.

En effet, lorsque j’entends que les spectacles de la Baleine sont « élitistes », je serais preneur de la part de ceux qui l’affirment d’une définition précise de cette épithète utilisée dans cette acception.Si la programmation était destinée à un petit nombre d’initiés constituant un noyau de privilégiés, comment pourrait-on expliquer que « Le Mariage de Figaro » ou « Macbeth » furent joués à guichet fermé? Et je n’évoquerai que pour mémoire la présence appréciée de l’orchestre du Capitole ou de celui de Sète. Tout cela exit?

Je ne pense pas qu’il faille spécifiquement s’adresser à telle ou telle catégorie sociale ou professionnelle, même Brecht s’y est élimé les dents dans « Sainte Jeanne des Abattoirs ». La programmation ne doit viser aucun public en particulier. C’est dangereux pour l’art lui-même mais aussi pour la liberté de choix de chacun. Philippe Jaccottet écrit: »Le poète n’est nécessaire que s’il demeure profondément inutile et inutilisable ».

Bon d’accord,vous allez me dire: « Il y a actuellement un grand problème social à assumer, un problème de repères; il y a aussi la misère qui frappe à nos portes. Il faut du travail pour tous; il faut du pain sur la table avant d’aller au spectacle ». Mais il ne faut pas s’en tenir à la superficialité, aux seules apparences.

Un autre frein objectif intervient face aux choix culturels des populations: celui du savoir. Shakespeare disait que « l’humanité lisant, c’est l’humanité sachant ». L’école en est la base essentielle et mérite toute notre attention. Une école de la deuxième chance est une bonne initiative mais elle pourrait (devrait) se situer ailleurs qu’à La Baleine et non s’y substituer au terme d’un calcul désastreusement comptable.

Au-delà de l’école, l’autre pilier est l’accès pour tous à l’ouverture d’esprit que peuvent apporter les manifestations culturelles. « Il faut soutenir les acteurs de la culture mais aussi encourager le public à sortir, découvrir, créer, apprendre, partager…notamment les jeunes, les plus défavorisés, les plus vulnérables » écrit l’acteur Jean Rochefort qui ajoute: « La culture est une arme comme le disait Jean Vilar ».

Je ne fais plus de politique ce qui ne signifie pas que je délaisse les options qui me tiennent à coeur. J’essaie de la vivre en citoyen déchargé de tout mandat. C’est ce qui me conduit à réagir face à certains événements. Pour cela, je fais appel à Victor Hugo dans la « Fin de Satan ». Il y montre que lorsque Dieu eut précipité son bel archange rebelle de l’ouverture du puits vers les abysses et l’eut dépouillé de sa beauté, il permit qu’une plume blanche de ses ailes qui était demeurée sur la margelle y restât, s’exclamant: »Ne jetez pas ce qui n’est pas tombé ». La nuit se faisant autour du réprouvé: « Et nox facta est », une lueur d’espoir demeurait. J’espère qu’il en sera de même pour La Baleine au bout de la nuit.

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