Le ciel est par-dessus le toit,
Si bleu, si calme !
Un arbre, par-dessus le toit,
Berce sa palme.
[……….]
Qu’as-tu fait, ô toi que voilà
Pleurant sans cesse,
Dis, qu’as-tu fait, toi que voilà
De ta jeunesse?
Paul Verlaine in [Sagesse – 1881]
Ainsi s’interrogeait Le Pauvre Lélian alors que le toit qui le séparait de l’azur n’était autre que celui de la prison de Bruxelles, ce toit briseur de rêves, cette claustration désespérément propice au retour sur soi et sur le passé.
Les « toits » actuels, les « enfermements » (si l’on peut utiliser ce néologisme) qui nous séparent de nos aspirations, de nos idéaux, sont plus immatériels. Cependant, ils sont toujours mus par les mêmes impulsions face à une crise et à une mondialisation dans lesquelles les gens ne se reconnaissent pas : course effrénée au profit avec ses corollaires que sont le racisme, le fanatisme, les réflexes individualistes, la peur pour l’emploi et celle du lendemain. Ces mêmes ressorts se redéploient en force.
Quand les leçons du passé s’estompent, les vieux démons resurgissent. Nous vivons les prémices d’une nouvelle tragédie mondiale avec déjà des millions de déportés ballottés d’une frontière à l’autre quand ils ont réussi à échapper au naufrage.
Face à cela, au moment où, comme je l’écrivais récemment sur Facebook, j’ouvre ma propre page sur mes trois-quarts de siècle et où il est difficile de ne pas jeter un œil sur le rétroviseur, je ne peux m’empêcher a contrario de la régression actuelle de me remémorer l’élan de la deuxième partie du siècle précédent où nous étions nombreux à penser la démocratie irréversible, la justice sociale et la paix entre les peuples à portée de nos espérances, le Larzac aux brebis et non au retour de la Légion. Tous symboles plus qu’écornés.
Non, je ne suis pas pessimiste. Il n’est pas dans ma nature de renoncer car il existe malgré tout beaucoup de forces de résistance aux courants actuels. Nonobstant mon soutien qui est acquis à celles-ci, j’ai envie de vous dire avec Louis Aragon :
Je me sens pareil
Au premier lourdaud
Qu’encore émerveille
Le moindre jet d’eau
Les gens de ma sorte
Il en est beaucoup
Savent-ils qu’ils portent
Une pierre au cou
Un destin banal
Une âme blessée
Comme un vieux journal
Un veston froissé
[…………]
Au bout de mon âge
Qu’aurais-je trouvé
Vivre est un village
Où j’ai mal rêvé
in [ Voyage de Hollande – L’été pourri – 1963 ]