En 1924, alors qu’Yves Klein n’était pas né et que Pierre Soulages n’avait que 5 ans, Louis Aragon écrivait déjà dans Le Paysan de Paris: «Quand les plus grands savants m’auront appris que la lumière est une vibration, ils ne m’auront pas rendu compte de ce qui m’importe dans la lumière et de ce que m’apprennent d’elle les yeux et qui est matière à miracle et non point objet de raison. La lumière ne se comprend que par l’ombre comme la vérité suppose l’erreur».
Ce qui est on ne peut plus vrai pour l’Outrenoir de Pierre Soulages ne l’est pas moins pour la perception du bleu Yves Klein (IPK). Avant que l’exposition temporaire ne se termine, j’y suis revenu plusieurs fois mais dès l’abord, où j’ai eu l’exceptionnel privilège, tôt le matin à l’ouverture du musée, de me trouver quasiment tout seul, j’ai ressenti devant ce bleu une impression d’apaisement, de sérénité, de plénitude dirais-je, qui m’a profondément touché, une sorte d’émotion esthétique intense qui n’allait pas sans rappeler ce vers de John Keats Endymion (1818):
A thing of beauty is a joy for ever
Cette recherche d’apaisement, qui ne s’est jamais démentie, nous pouvons aussi la retrouver dans des extraits des derniers vers de Sergueï Essenine, peu de temps avant son suicide à Leningrad (décembre 1925) : un Serguei, désabusé par son existence, révolutionnaire rejeté par le Parti pour inconstance, rongé par l’alcool, de retour des USA où il venait de partager un court moment la vie d’Isadora Duncan, en proie à la nostalgie de son enfance, de sa «Russie bleue »:
Ma maison basse avec ses volets bleus / Jamais je ne pourrai l’oublier !
Je revois le jardin aux taches bleues. / Tout s’est consumé dans la fumée bleue.
Je me rappelai ma campagne bleue / Le seigle galopant comme une cavalerie bleue
Mon mai tout bleu! Mon juin azuré!
Un soir de lune dans ce bleu du soir/J’étais jeune et j’étais beau /
Irrésistible, inimitable /
Tout est passé…si loin…devant…/
Quel bonheur bleu ces nuits de pleine lune.
Lumière bleue, lumière si bleue! Dans tout ce bleu on ne craint même pas de mourir.
Extraits traduits par Lavauzelle ou dans poètes d'aujourd'hui
Kandinski: paysage romantique, cavaliers bleus
La magnifique expo Des Cris Bleus vient de se terminer sur un nouveau succès d’affluence qui conforte Rodez en tant que pôle culturel, a ouvert la ville à une large fréquentation nationale et internationale dont les retombées culturelles et économiques ne sont pas négligeables et a offert aux Ruthénois, dans leur ville, l’approche du meilleur de l’art comme lors des expos précédentes.
C’était bien cela l’objectif qui présidait à la réalisation du musée Soulages et à la volonté de Pierre Soulages, au-delà de son œuvre, de ménager un important espace pour les expositions temporaires.
C’est aussi, en écho, la remarquable expo «Soulages, un musée imaginaire» au Musée Fenaille. Certes, Pierre Soulages vivait ses premières émotions artistiques à Conques dont les chapiteaux du Moyen-Age le fascinaient mais aussi à la rencontre des statues menhirs déjà entreposées à l’époque à Fenaille. C’est donc tout naturellement qu’y a été mis en place «son musée imaginaire», le temps d’un été, enrichi d’autres œuvres amérindiennes par exemple.
Il ne nous reste qu’à attendre avec impatience cet hiver la future exposition « Femmes des années 50 Au fil de l’abstraction peinture et sculpture» et pour l’été prochain Fernand Léger dont j’affectionne tout particulièrement les œuvres que j’ai pu voir il y a longtemps aux Abattoirs à Toulouse où à la fondation Maeght à St Paul de Vence.


