Antonin ARTAUD: Le théâtre et la Peste

Conférence d’Antonin Artaud le 6 avril 1933                                      à La sorbonne


« Une nuit de fin avril 1720, vingt jours avant l’arrivée du vaisseau Le Grand St Antoine dont le débarquement coïncida avec la plus merveilleuse explosion de peste qui ait fait bourgeonner les mémoires de la cité, SAINT-REMYS, vice-roi de Sardaigne, eut un rêve particulièrement affligeant : il se vit pesteux et il vit la peste ravager son minuscule état…

Sous l’action du fléau, les cadres de la société se liquéfient. L’ordre tombe. Il assiste à toutes les déroutes de la morale, à toutes les débâcles de la psychologie. Il entend en lui le murmure de ses humeurs, déchirées, en pleine défaite…..

Il se réveille… un navire passe, le Grand St Antoine, et propose de débarquer… C’est alors qu’il lui donne l’ordre d’avoir à virer de bord et de faire force de voile hors de la ville sous peine d’être coulé à coups de canons. La guerre contre la peste. L’autocrate n’ allait pas par quatre chemins.


La force de ce rêve lui permit, malgré les sarcasmes de la foule et le scepticisme de son entourage, de persévérer dans la férocité de ses ordres, passant pour cela non seulement sur le droit des gens, mais sur le simple respect de la vie humaine et sur toutes sortes de conventions nationales ou internationales, qui, devant la mort, ne sont plus de saison…

Le navire continua sa route, aborda à Livourne et pénétra dans la rade de Marseille…Le Grand St Antoine n’y apporta pas la peste. Elle était là. Et dans une période de particulière recrudescence… Dans certains cas, les poumons et le cerveau noircissent et se gangrènent….les deux seuls organes réellement atteints se trouvent être tous les deux sous la dépendance de la conscience et de la volonté…

Si le théâtre est comme la peste, ce n’est pas seulement parce qu’il agit sur d’importantes collectivités et qu’il les bouleverse dans un sens identique. Il y a dans le théâtre comme dans la peste quelque chose à la fois de victorieux et de vengeur. Cet incendie spontané que la peste allume où elle passe, on sent très bien qu’il n’est pas autre chose qu’une immense liquidation…

Un désastre social si complet, un tel désordre organique, une sorte d’exorcisme total qui presse l’âme et la pousse à bout…indiquent un état où se retrouvent à vif toutes les puissances de la nature au moment où celle-ci va accomplir quelque chose d’essentiel.

La peste prend des images qui dorment, un désordre latent et les pousse tout à coup jusque aux gestes les plus extrêmes…et le théâtre lui aussi prend des gestes et les pousse à bout : il refait la chaîne entre ce qui est et ce qui n’est pas, entre la virtualité du possible et ce qui existe dans la nature matérialisée …

L’action du théâtre, comme celle de la peste, pousse les hommes à se voir tels qu’ils sont. Elle fait tomber les masques (sic), elle découvre le mensonge, la veulerie, la tartuferie…et révélant à des collectivités leur puissance sombre, leur force cachée, elle les invite à prendre en face du destin une attitude héroïque et supérieure qu’elles n’auraient jamais eue sans cela.

Et la question qui se pose maintenant est de savoir si dans ce monde qui glisse, qui se suicide sans s’en apercevoir, il se trouvera un noyau d’hommes capables d’imposer cette notion supérieure du théâtre qui nous rendra à tous l’équivalent naturel et magique des dogmes auxquels nous ne croyons plus. »

En ces temps de confinement, la lecture de Camus et/ou de Giono font florès.

On ne saurait cependant oublier Antonin Artaud dont la réflexion toujours très actuelle fait  apparaître sous un un jour souvent méconnu à la fois l’écrivain et l’acteur-metteur en scène dont les extraits – prémonitoires- que je me fais un plaisir de vous livrer vous convieront je l’espère à (re)lire dans le «  Théâtre et son Double « . [ŒUVRES – Quarto -Gallimard- pp 510 sqq] ce qu’il désignera ultérieurement sous le vocable « théâtre de la Cruauté ». 

Recettes pour Remédier à la Pénurie…

Comment résister en ce 1° avril à un peu de bonne humeur dans ce monde « coronarisé » en proie à tous les doutes? Non, ce que vous allez peut-être lire n’est pas un poisson d’avril, ce n’est pas non plus une Fake, puisque Le Canard lui-même nous informe avec humour ce matin que le  1° avril 2020, pour cause de corona, est reporté au 1° avril 2021.

C ‘est un vieil écrit  de 500 ans à réactualiser. En effet, Le rayons P.Q. des grandes surfaces ayant été ravagé, la littérature peut venir au secours de tous ceux qui sont dans le besoin.

Ainsi, dès 1534, Alcofribas Nasier –anagramme de François Rabelais, moine et médecin de son état, philosophe de surcroît-  de son rire énorme nous livrait par la bouche de Gargantua quelques recettes qui pourraient nous permettre de faire face 

à ce genre de pénurie en un dialogue père-fils un peu cru certes mais fort distrayant entre deux personnages hors normes, le bon géant Grandgouzier et son jeune fils Gargantua (Chapitre XIII du livre éponyme).

Je vous laisse le plaisir de vous délecter de ces  quelques extraits, certes un peu crus, retranscrits en conservant le plus possible l’ancien français beaucoup moins affadi que notre langue technocratique actuelle, à faire rêver même les actuels « rapeurs » qui font pâle figure face au Maître. Laissons lui la parole:

 

Gargantua Chap.XIII Livre de Poche 1589 4°trim. 1965 
Comment Grandgousier cogneut l’esperit merveilleux de Gargantua à l’invention d’un torchecul
Sus la fin de la quinte année, Grandgouzier, retournant de la défai

cte des Canarriens (les Canaries), visita son filz Gargantua. Là fust resjouy comme tel pere povoit estre voyant un sien tel enfant, et, le baisant et accolant, l’interrogeoyt de petits propos pueriles en diverses sortes….avec ses gouvernantes, esquelles  par grand soing demandoit, entre autres cas, si elles l’avoyent tenu blanc et nect.

A ce Gargantua feist response qu’i y avait donné tel ordre qu’en tout le pays n’estoit guarson plus nect que luy.
-Comment cela? dist Grandgouzier.
-J’ay (respondit Gargantua) par longue et curieuse expérience inventé un moyen de me torcher le cul le plus seigneurial, le plus excellent, le plus expédient que jamais feut veu.
-Quel? dist Granggousier.
-Comme vous le raconteray (dist Gargantua) présentement:
« Je me torchay une fois d’un cachenez de velours de une damoiselle et le trouvay bon car la mollice de sa soye me causoit au fondement une volupté bien grande.
Une aultre foys d’un chaperon d’ycelles et feut de mesme. Une aultre foys d’un cache coul.
Une aultre foys des aureillettes (pendants de broderies qui retombaient du chapron sur le cou et étaient ornés de broderies et de pierres précieuses) de satin cramoysi mais la dorure d’un tas de sphères qui y estoient m’escorchèrent tout le derriere, que le feu de sainct Antoine( le mal des ardents ou ergotisme) arde (brûle) le boyau culier de l’orfebvre qui le feist et de la damoiselle qui les portoit.
Ce mal passa me torchant d’un bonnet de paige bien emplumé à la souice.
Puis, fiantant derrière un buisson trouvai un chat de Mars (tout jeune chaton très vigoureux), d’icelluy me torchay, mais ses gryphes me exulcererent tout le perinee. De ce me guéryz au lendemain me torchant des gands de ma mere, bien parfumez de maujoin(au parfum de sexe féminin).
Puis me torchay de saulge, de fenoil, de aneth, de marjolaine…de orties de consolde mais j’en eu la cacquesangue de Lombard (la dyssenterie)….. »
-Voyre, mais (dist Gandgouzier) lequel torchecul trouvas tu meilleur?
-Je me torchay après (dist Gargantua) d’un couvre chief, d’un aureiller, d’une pantofle…..Et notez que les chappeaulx les uns sont ras, les aultres à poil, les aultres veloutez, les aultres satinizez. Le meilleur de tous est celluy de poil, car il fait tres bonne abstersion de la matière fécale.
Puis me torchay d’une poulle, d’un coq….mais concluent je dys et maintiens qu’il n’y a tel torchecul que d’un oyzon bien dumeté (duveté), pourveu q’on luy tienne la teste entre les jambes car vous sentez une volupté mirificque tant par la doulceur d’icelluy dumet que par la chaleur tempérée de l’oyzon laquelle facilement est communicquée au boyau culier jusques à venir  à la region du cueur et du cerveau »…   

Merci François pour ces recettes à diffuser sans retenue si elles ne sont pas trop choquantes aux yeux de certaines personnes. A leur rappeler cependant que c’est un moine qui les a écrites, et comme tu l’écrivais en avant-propos:  » Mais par telle legiereté ne convient estimer les oeuvres des humains.Car vous mesmes dictes que l’habit ne faict poinct le moyne ».