Confinement et littérature
L’Académie Française, noble institution datant de Richelieu, toujours aussi progressiste et, paraît-il, se basant sur l’usage tout autant que sur l’étymologie, a choisi de marquer le (la) covid 19 du signe féminin. N’y voyons là bien sûr aucune tentative de diabolisation antiféministe et évitons d’y supposer une quelconque référence à celle qui, d’après la Bible, nous a privés des délices de l’Eden.
A contrario, tous les archéologues s’interrogent, quant à la statuaire vieille de plus de cinq mille ans y compris celle exposée à Rodez au musée Fenaille, sur l’idée que pour ces civilisations préhistoriques Dieu aurait pu être une femme, la mère nourricière et reproductrice de l’humanité. Un peu plus tard d’ailleurs, les Grecs , à la grande colère de Poséidon, avaient choisi Athéna comme protectrice d’Athènes, et ce n’est qu’ensuite que l’épopée des Hellènes l’a décrétée issue de la cuisse de Zeus ce qui consacrait l’homme dans un rôle dominant. Donc, pour en revenir aux présupposés archéologiques: « Et si Dieu était une femme? »
A cela Chelsea Cunninghan répond « Si Dieu est une femme, elle est romancière », roman (2017) dans lequel l’héroïne Zoé, nouvelle Shéhérazade, parle et Adam l’écoute. Elle raconte, elle charme. Au son de sa voix Adam voyage. Le rêve, le voyage, parcourir le monde, découvrir « le peuple qui nous manque » comme le disait Gilles Deleuze: est-ce la vocation du roman?

Voilà bien des années que Je n’ai relu Le Rouge et le Noir de Stendhal mais j’en ai toujours gardé à l’esprit, et vous la soumet, cette citation : » Le roman, c’est un miroir que l’on promène le long du chemin » souvent reprise sous des formes diverses qui rappelle combien de tels récits peuvent être à la fois le reflet du monde et de l’humain mais aussi trouver une résonance profonde dans le lecteur lui-même.
Certes, poursuit par ailleurs Stendhal: « toute oeuvre d’art est un beau mensonge » rejoignant en cela Platon qui pensait que l’art n’est qu’un trompe-l’oeil, un effet cosmétique destiné à masquer une réalité moins séduisante, idée symbolisée par Magritte dans son célèbre tableau: « Ceci n’est pas une pipe ».
Cependant, lors de cette longue période de confinement, si j’en crois les statistiques, la lecture a connu un regain d’intérêt et s’est avérée un mode privilégié permettant à la fois de se retrouver soi-même et de rompre l’angoisse due à une solitude que la réouverture des médiathèques, accueillie comme une libération, participe a dissiper.
En effet, s’ajoute désormais au plaisir de la lecture , dans le cadre des salles communes, malgré la « distanciation dite sociale » encore imposée, le plaisir du rapprochement, d’une forme de connivence permettant l’échange de quelques mots ou d’un salut complice, le sentiment personnel d’appartenance à un cercle d’initiés, voire de privilégiés .
J’ai trouvé cette approche formulée de manière très sensible, au sens propre du terme, chez Rainer Maria RILKE, poète germanophone qui narre dans un passage des Cahiers de Malte Laurids Brigge (1910 – édités au Seuil – Points- ) l’histoire d’un jeune Danois isolé se trouvant, à cette époque, à Paris, dans une salle de lecture de la Bibliothèque nationale. Je n’ai pu résister au désir de vous faire partager son sentiment en ce lieu:

« Je suis assis et je lis un poète. Il y a beaucoup de gens dans la salle, mais on ne les sent pas. Quelquefois ils bougent entre les feuillets, comme des hommes qui dorment, et se retournent entre deux rêves. Ah! qu’il fait bon être parmi des hommes qui lisent. Pourquoi ne sont-ils pas toujours ainsi? Vous pouvez aller à l’un et le frôler: il ne sentira rien. Vous pouvez heurter votre voisin en vous levant et si vous vous excusez, il fait un signe du côté d’où vient votre voix, son visage se tourne vers vous et ne vous voit pas et ses cheveux sont pareils aux cheveux d’un homme endormi. Que c’est bon…
Je suis assis et j’ai un poète. Quel destin! Ils sont peut-être trois cents dans cette salle qui lisent à présent; mais il est impossible que chacun d’entre eux ait un poète à lire. Il n’existe pas trois cents poètes. Mais voyez mon destin: Moi, peut-être le plus misérable de ces liseurs, moi, un étranger, j’ai un poète….et ils savent qu’au fond je suis des leurs ». (traduction Maurice Betz)
Reprenant en quelque sorte ces propos, Patrick Modiano préface ainsi les Cahiers:
« …Alors se crée un magnétisme qui défie le temps et la mort….Il [Rilke] nous entraîne dans son rêve d’une enfance passée au fond d’un château des bords de la Baltique…jusqu’au moment où nous nous apercevons qu’un tourment habite cet univers feutré et que le Cahiers de Malte sont le livre de la souffrance. Paris y joue un grand rôle et la découverte de cette ville a libéré chez Rilke, avec la brutalité d’une déchirure, le flots des souvenirs et des angoisses ».
La période de confinement dont nous apercevons peut-être la fin aura eu ceci de positif qu’elle nous aura permis d’interroger notre propre ego, de méditer sur le sens de l’existence et certainement d’aspirer à un monde futur dans lequel, oubliant la redoutable froideur technocratique, le roman et la poésie, en d’autres termes l’humain, trouveront à nouveau place.
Musée Soulages: le bleu
Excellente conférence de Julien Arquié, mercredi 26 mars, à la suite des expositions temporaires sur les « bleus » de Yves KLEIN (2019) et actuelle de Geneviève ASSE- propos portant sur le » Bleu « , ses compositions, ses rapports aux autres couleurs et ses résonances auprès du public, cela sur la base du livre des couleurs de…
A propos des BREVES de REGIS DEBRAY
C’est le privilège de l’âge que de pouvoir évoquer, tel que je l’ai fait pour Paul Chemetov, des personnages qui ont marqué l’existence à des degrés divers. Aujourd’hui je souhaiterais évoquer la mémoire d’un de mes anciens profs de lettres devenu ami, habitant près de Druelle, chez qui j’allais parfois échanger quelques propos littéraires et…
Paul CHEMETOV
Je voudrais simplement rendre hommage à Paul Chemetov, grand architecte de dimension internationale connu entre autres pour ses réalisations: la Grande Galerie du Museum d’histoire natuelle, le Ministère des finances de Bercy, le siège du PCF place du Colonel Fabien en tant que collaborateur d’Oscar Niemeyer, la bibliothèque municipale de Montpellier, l’ambassade de France à…
De Masson à Artaud
Dans le Théâtre de la Cruauté, Antonin s’exprimait ainsi: « un théâtre qui réveille en nous nerfs et coeurs, où des images broient et hypnotisent la sensibilité du spectateur, jouant un rôle de catharsis, une fonction qui fournit des obsessions érotiques, de sauvagerie, de chimères, un sens utopique de la vie et des choses, de cannibalisme…
Gabriel Péri aussi !
Que Gabriel Péri, Journaliste à l’Humanité, précédemment député communiste d’Argenteuil dans les années 1930, fusillé le 15 décembre 1941 au Mont-Valérien, trois ans avant Missak Manouchian et les 22 autres FTP-MOI de l’Affiche Rouge, fusillés eux le 21 février 1944 toujours au Mont- Valérien , Guy Môquet (18 ans) fusillé le 21 octobre 1941 à…
