Amade-Bécaud: Quand il est mort le Poète

Il était né à La Planque commune de Sainte Geneviève-Sur-Argence. Il nous a quittés discrètement dans la nuit du 13 au 14 avril à l’hôpital de Laon, à l’autre bout de la France, mais il avait, en Aveyronnais de souche, toujours affiché son attachement à sa terre natale :

BERNARD NOEL

AUBRAC

neige et brouillard l’enfance a perdu sa route

un bout de ciel mouillé bouche la fenêtre

le temps est un trou toujours qui va devant

piège ouvert trop tôt pour le dernier moment

plus bas l’hiver se couche dans la lumière

il n’en reste en l’air qu’un peu de buée blanche

des souvenirs tombent d’on ne sait quel arbre

dont la mémoire brise toutes les branches

Le Reste du Voyage P.OL. 1997

Poète, il avait parcouru le monde. Dans Le RESTE Du VOYAGE (P.O.L.1997) il rassemblait ses impressions et sa vision des villes et lieux parcourus, entre autres Paris – Nantes- Marseille- Issoudun -Dresde – le Mexique : Puebla – Teotihuacan – Chichen Itza ….- le Nord : Helsinki…. mais aussi:

VERONE

Les graffitis sont plus beaux que le balcon

mais c’est lui qui dicte un désir de durée

comme si deux noms enlacés dans le plâtre

pouvaient à son égal dominer le temps

la ville vit d’un amour dont la vie toute

est un songe antique et toujours resoufflé

on vend par milliers des baisers de Juliette

mais pas même en sucre une langue de Shakespeare

on vend par milliers des baisers de Juliette

mais pas même en sucre une langue de Shakespeare

JERUSALEM

un gros soleil met du sang sur l’horizon

La ville au-dessous est barbouillée de craie

trop quartiers neufs écrasent les collines

leur but est de chasser l’histoire du présent

mais la peau de la terre est dure et son cœur

bat d’autant plus fort qu’on veut l’écraser

dans la vieille ville on marche sur du temps

qui souffle au visage une âme naturelle

quelques drapeaux bleus font flotter leur insulte

dans l’air du quartier qu’il s’agit d’humilier

la vie n’en continue pas moins à bouillir

sur les pavés où passa l’homme à la croix

comment coloniser ce qui est de l’être

quand on n’a pour volonté que l’avoir

Poète, il maniait la langue comme le peintre manie son pinceau. Ses couleurs étaient les mots, son écriture serrée, son expression sans complaisance.

Romancier et essayiste aussi, par exemple Le Roman d’Adam et Eve  (Stock 1996) une sorte de thriller philosophique en quête d’un énigmatique paradis terrestre conçu à l’époque stalinienne, il demeurait d’abord linguiste : « La seule part douteuse de mon récit viendra du fait que la langue agit sur les choses comme agit sur elles le temps ».  Critique littéraire, critique d’art, les cordes à son arc étaient multiples. Il y ajoutait , ou peut-être était-ce l’origine de tout son travail d’écriture, la qualité de citoyen engagé, admirateur de l’œuvre d’Eluard, compagnon de route particulièrement exigeant du Parti Communiste et ne lui accordant aucune concession.

Je l’avais rencontré lors de journées de poésie de Rodez du 31 mai au 4 juin 2006 et j’ai surtout rencontré son travail critique réalisé à St Denis à l’occasion du centenaire de la naissance de Paul Eluard dans cette ville, ville où il avait réuni sous forme d’une anthologie de plus de 260 pages une somme de poèmes contemporains répondant à la quête intitulée Qu’est-ce que la poésie, ouvrage qui doit être introuvable car publié avec les seuls moyens municipaux, comme nous le faisons ici pour notre travail sur Artaud dans le cadre de notre association éponyme,mais qui m’avait été adressé gracieusement par la mairie de P. Braouzec alors que je travaillais moi-même à l’université Jean Jaurès sur des poèmes du même Paul Eluard « Pour Vivre Ici ». Je vous livre pour le plaisir ce qu’il en disait en préface : « une sorte de donner à penser dans la suite du donner à voir de Paul Eluard ».

Bernard NOEL, prix Antonin Artaud à Rodez en 1967, grand prix de poésie de l’Académie Française en 2016, demeurera, comme Jean Boudou, Denys-Paul Bouloc et quelques autres, l’une des personnalités littéraires dont notre département peut légitimement s’enorgueillir bien que lui-même refusât toute forme d’hommage convenu, y compris à titre posthume, disant devant une assistance médusée lors d’une fête de l’Huma: « On a pris l’habitude de faire consommer aux poètes leur propre mort. » (cité par le journal) et ajoutant dans Treize cases du je (P.O.L. 1975) : « Qu’est-ce qu’un mort ? Un personnage imaginaire et cependant emprunté à la réalité ; quelqu’un qui a quitté l’existence pour devenir un être ; en somme, l’analogue de ce qui constitue un mot ».

Permettons lui le mot de la fin dans le Chant 1 de La Chute des Temps (nrf 1993)

l’homme

ne peut être qu’un homme

et voici la chose terrible la chose vraie

hors de lui rien ne change

il revoit le vieux pays porteur d’air sombre

et le besoin d’avant l’histoire le reprend…

et celui qui pense à l’abri des paupières noires

rêve d’une vie sans mémoire d’une vie…

maintenant dit-il chacun de nous

attend quelqu’un qui veut sa mort

et l’on appelle cela vivre

Rimbaud : Le Bateau Ivre

C’est vieux de plus de deux siècles et on en sourit toujours. C’est cocasse, peut-être une galéjade comme les aiment les Marseillais. Ce n’est pas un poisson d’avril. Il serait un peu gros à avaler mais vous en avez tous entendu parler: une sardine avait bloqué le port de Marseille. Incroyable: il eût fallu que la sardine fût de taille considérable et le chenal d’accès au port bien étroit!

De fait, comme toute légende, le fait enjolivé reposant sur un support beaucoup moins poétique, il s’agissait, dans le dernier quart du XVIII° siècle, d’une frégate royale baptisée La Sartine, du nom du ministre de la marine de Louis XVI, qui s’était échouée, à l’issue d’une fausse manoeuvre, à l’entrée du port, bloquant ainsi la circulation maritime pendant plus d’une semaine.

Il n’en fallait pas plus pour saisir l’occasion de tourner en dérision la marine royale. La galéjade fit florès. Il suffisait pour cela de jouer sur le rapprochement paronymique entre Sartine et Sardine, une modeste sardine capable à elle seule de bloquer l’un des principaux ports méditerranéens.

Je ne sais qui, sinon peut-être Karl, disait que l’histoire ne se répète pas mais qu’il lui arrive par fois de bégayer…Or cette fois-ci ce n’est pas une galéjade provençale. Ce n’est pas non plus le Bateau Ivre d’Arthur enfin libéré de ses contraintes:

« Comme je descendais les Fleuves impassibles, / Je ne me sentis plus guidé par les haleurs …

J’ai vu fermenter les marais énormes, masses / Où pourrit dans les joncs tout un Léviathan…

Mais, vrai. J’ai trop pleuré! Les aubes sont navrantes. / Toute lune est atroce, et tout soleil amer… »

Ainsi, durant près de quinze jours, un mastodonte libéré de ses contraintes humaines, affichant deux cent vingt mille tonnes, quatre cents mètres de long, cinquante neuf mètres de large, soixante mètres de haut, transportant vingt deux mille conteneurs lesquels mis bout à bout s’étireraient sur plus de cent km de route et polluant à lui seul en résidus de pétrole lourd l’équivalent de plusieurs millions d’automobiles diésel, s’est mis en travers bloquant le canal de Suez. Ferdinand de Lesseps ne pouvait prévoir qu’un tel tyran des mers nécessiterait un tel tirant d’eau.

Jusqu’où la bêtise humaine alliée à l’appât du gain ira-t-elle se nicher au nom d’un système économique suicidaire à la recherche de productions à bas coût basées sur l’exploitation d’une main-d’oeuvre bon marché et nécessitant pour les marchandises ainsi produites l’épuisement des ressources terrestres ainsi que des moyens de transport engendrant une pollution destructrice?

S’il y a des gens qui s’insurgent à juste titre contre ce mépris généralisé des humains et de notre planète, ce sont bien les ouvriers de la Robert Bosch d’Onet pour lesquels on casse brutalement, sans contrepartie ni activités de substitution l’outil de travail au nom de l’urgence climatique en vouant aux gémonies les petits moteurs diesel tandis que la compagnie EVERGREEN ( sic!) arme son monstre des mers pour importer des produits et que dans le même temps nos politiques se perdent en déclarations vertueuses quant à l’urgence du produire national et local tout en laissant naviguer un tel LEVIATHAN dont Hobbes disait qu’il est le danger absolu pouvant conduire à l’extermination de la terre, le cataclysme capable de modifier la planète. L’Enfer, pour ceux qui y croient est, paraît-il pavé de bonnes intentions.