Philosophie de l’âge vs Age de la philosophie?

En ce début novembre, quelles que soient les convictions de chacun, il est convenu d’avoir une pensée pour ses parents, amis, camarades et diverses connaissances aujourd’hui disparus qui ont jalonné notre vie familiale et sociale. De plus, comment pourrait-on mieux appréhender cela, lorsqu’on vient d’accomplir, comme disent les Belges, les « septante-neuf » et que l’on s’achemine inexorablement vers la série des « octante » donc que l’on a dans le rétroviseur une durée non négligeable d’existence. C’est ce que ressentait lui-même, bien que plus jeune, Marcel PROUST dans ces lignes admirables alors qu’il ne venait lui-même que de tout juste dépasser la cinquantaine :

« …..Et maintenant je comprenais ce que c’était que la vieillesse – La vieillesse qui de toutes les réalités est peut-être celle dont nous nous gardons le plus longtemps, dans la vie, une notion purement abstraite, regardant les calendriers, datant nos lettres, voyant se marier nos amis, les enfants de nos amis, sans comprendre, soit par peur, soit par paresse, ce que cela signifie jusqu’au jour où nous apercevons une silhouette inconnue…laquelle nous apprend que nous vivons dans un nouveau monde…jusqu’au jour où le petit fils d’une de nos amies, jeune homme qu’instinctivement nous traiterions en camarade, sourit comme si nous nous moquions de lui, nous qui lui sommes apparu comme un grand-père ; je comprenais ce que signifiaient la mort, l’amour, les joies de l’esprit, l’utilité de la douleur…car si les noms avaient perdu pour moi leur individualité, les mots me découvraient tout leur sens. La beauté des images est logée à l’arrière des choses, celle des idées à l’avant. De sorte que la première cesse de nous émerveiller quand on les a atteintes, mais qu’on ne comprend la seconde que quand on les a dépassées. »

Marcel Proust : (Le Temps Retrouvé – posthume 1927-nrf)

Constat désespérant? Aucunement ! Evolution qui n’a rien de linéaire. A se voir soi-même et à voir notre entourage, il est certain que le confinement que nous venons de subir – et qui n’est malheureusement pas terminé – a largement ajouté au repliement de chacun sur lui-même, a une fracture sociale, une forme d’accélération du sentiment d’isolement qui avait conduit Marcel Proust, jusqu’alors aristocrate fréquentant les soirées mondaines, en proie aussi à la maladie, à se claquemurer dans sa chambre et à ne plus guère en sortir jusqu’à sa mort.

Edgar Morin, qui vient d’accomplir ses cent ans, a une vision beaucoup plus optimiste de son âge et de l’avenir. Interrogé par Pierre Mathieu en cet anniversaire, il fait preuve d’un bel optimismeen réponse à la question: « Quel est le secret de votre jeunesse ? »

– « Il n’y a pas de secret, tout être humain doit pouvoir conserver les curiosités de l’enfance, les aspirations de son adolescence, les responsabilités de l’adulte, et si possible tirer de son expérience quelques leçons de soi-même….Je continue à m’étonner de tout…Je garde la mémoire d’amitiés profondes qui me nourrissent encore. Je suis vieux tout en étant jeune et jeune tout en étant vieux, et si des choses m’ont ralenti, j’ai l’impression d’être le même, de n’avoir rien perdu de ma curiosité et de mes besoins affectifs….Je me sens faire partie de l’aventure extraordinaire de l’humanité. » ( La Dépêche du vendredi 1 octobre 2021)

Jean Boudou, qui est, pour Joan Larzac son préfacier, le romancier de l’humilité et de la dignité , le demeure jusque dans la mort  dans ces vers écrits moins d’un mois avant son décès:

La mòrt es aquì que m’espèra

La mòrt es al cap del camin

Que me serviriá la colèra

Sens ieu pòt tornar lo matin.

(Joan bodon – Las domaisèlas -roman inacabat 1975 -A TOTS -IEO)

Philosophie de l’âge ou bien âge de la philosophie ? Le chiasme, figure certes facile à réaliser, n’en traduit pas moins interrogations et ressentis à l’évidence propres au genre humain.

Revenons à Proust pour le mot de la fin:

« Il en est de la vieillesse comme de la mort. Quelques uns les affrontent avec indifférence, non pas parce qu’ils ont plus de courage que les autres, mais parce qu’ils ont moins d’imagination »

(Les Plaisirs et les Jours -1896- nrf)