DE SERGUEI ESSENINE à Yves KLEIN

En 1924, alors qu’Yves Klein n’était pas né et que Pierre Soulages n’avait que 5 ans, Louis Aragon écrivait déjà dans Le Paysan de Paris: «Quand les plus grands savants m’auront appris que la lumière est une vibration, ils ne m’auront pas rendu compte de ce qui m’importe dans la lumière et de ce que m’apprennent d’elle les yeux et qui est matière à miracle et non point objet de raison. La lumière ne se comprend que par l’ombre comme la vérité suppose l’erreur».

Ce qui est on ne peut plus vrai pour l’Outrenoir de Pierre Soulages ne l’est pas moins pour la perception du bleu Yves Klein (IPK). Avant que l’exposition temporaire ne se termine, j’y suis revenu plusieurs fois mais dès l’abord, où j’ai eu l’exceptionnel privilège, tôt le matin à l’ouverture du musée, de me trouver quasiment tout seul, j’ai ressenti devant ce bleu une impression d’apaisement, de sérénité, de plénitude dirais-je, qui m’a profondément touché, une sorte d’émotion esthétique intense qui n’allait pas sans rappeler ce vers de John Keats Endymion (1818):

A thing of beauty is a joy for ever

 

Y. Klein: La Vénus Bleue

Cette recherche d’apaisement, qui ne s’est jamais démentie, nous pouvons aussi la retrouver dans des extraits des derniers vers de Sergueï Essenine, peu de temps avant son suicide à Leningrad (décembre 1925) : un Serguei, désabusé par son existence, révolutionnaire rejeté par le Parti pour inconstance, rongé par l’alcool, de retour des USA où il venait de partager un court moment la vie d’Isadora Duncan, en proie à la nostalgie de son enfance, de sa «Russie bleue »:

Ma maison basse avec ses volets bleus / Jamais je ne pourrai l’oublier !

Je revois le jardin aux taches bleues. / Tout s’est consumé dans la fumée bleue.

Je me rappelai ma campagne bleue / Le seigle galopant comme une cavalerie bleue
Mon mai tout bleu! Mon juin azuré!

Un soir de lune dans ce bleu du soir/J’étais jeune et j’étais beau /
Irrésistible, inimitable /
Tout est passé…si loin…devant…/
Quel bonheur bleu ces nuits de pleine lune.

Lumière bleue, lumière si bleue! Dans tout ce bleu on ne craint même pas de mourir.

Extraits traduits par Lavauzelle ou dans poètes d'aujourd'hui

 

 



Kandinski: paysage romantique, cavaliers bleus

 

La magnifique expo Des Cris Bleus vient de se terminer sur un nouveau succès d’affluence qui conforte Rodez en tant que pôle culturel, a ouvert la ville à une large fréquentation nationale et internationale dont les retombées culturelles et économiques ne sont pas négligeables et a offert aux Ruthénois, dans leur ville, l’approche du meilleur de l’art comme lors des expos précédentes.

C’était bien cela l’objectif qui présidait à la réalisation du musée Soulages et à la volonté de Pierre Soulages, au-delà de son œuvre, de ménager un important espace pour les expositions temporaires.

C’est aussi, en écho, la remarquable expo «Soulages, un musée imaginaire» au Musée Fenaille. Certes, Pierre Soulages vivait ses premières émotions artistiques à Conques dont les chapiteaux du Moyen-Age le fascinaient mais aussi à la rencontre des statues menhirs déjà entreposées à l’époque à Fenaille. C’est donc tout naturellement qu’y a été mis en place «son musée imaginaire», le temps d’un été, enrichi d’autres œuvres amérindiennes par exemple.

statue menhir de Jouveyrac

 

Il ne nous reste qu’à attendre avec impatience cet hiver la future exposition « Femmes des années 50 Au fil de l’abstraction peinture et sculpture» et pour l’été prochain Fernand Léger dont j’affectionne tout particulièrement les œuvres que j’ai pu voir il y a longtemps aux Abattoirs à Toulouse où à la fondation Maeght à St Paul de Vence.

Automne malade et adoré (Apollinaire)

« Oh! L’automne, l’automne a fait mourir l’été »(Alcools)

« O tempora! O mores!« . Cet aphorisme cicéronien pourrait trouver résonance dans les pluies incessantes qui s’abattent sans discontinuer depuis quelques jours faisant suite à une sécheresse tout aussi navrante depuis le printemps. Elles nous font entrer de plain-pied dans un automne qui a un peu tardé à montrer son visage.
Ainsi, finies les longues méditations méridiennes à « l’ombre bleue » de mon figuier méditerranéen à Vias; finis les apéros conviviaux avec mes voisins, vacanciers eux-aussi; oublié le bleu de la mer et sa rencontre à l’horizon avec le bleu du ciel (voir Klein) par-delà l’étalage de corps enduits d’huile,rissolant sur le sable brûlant et sous un soleil impitoyable.

Même pour le retraité que je suis, avec la rentrée ce sont les soucis associatifs qui prédominent: préoccupation constante de finances, efficience des actions en direction des jeunes les plus en difficulté pour se loger afin que l’accès au logement ne soit pas un frein à leur formation ou emploi et qu’ils puissent aussi accéder aux aides nécessaires auxquelles ils ont droit.

La rentrée et la pluie, c’est en revanche, avec le plaisir de vous retrouver, l’occasion de reprendre la plume (si j’ose dire) et de mettre noir sur blanc, sans prétention, quelques unes de mes constatations qui n’ont certes rien de très original mais que je souhaite partager avec vous.

« O tempora! O mores! » s’exclamait Cicéron.Cette maxime n’était pas pour lui réservée au changement des saisons et aux comportements qu’elles induisent. Il dénonçait les nouvelles mœurs de son époque, l’absence d’éthique. En cela notre époque n’a rien à envier à la sienne.

Le privilège de l’âge m’a conduit à voir les présidents De Gaulle et Mitterrand déambuler dans les rues de Rodez afin de serrer la main des gens venus les saluer ou manifester leur réprobation, d’avoir vu à la télévision Chirac dans les rues de Jérusalem s’approcher sans réelle protection des Palestiniens au grand dam des services de surveillance israéliens. Le président actuel est bien loin de ces mœurs. Une cohorte de CRS l’a accompagné à Rodez où il a pu s’engouffrer dans la salle des fêtes à la rencontre d’un public trié sur le volet, bloquant pour cela la ville plus d’une journée et sans saluer par ailleurs âme qui vive.

Le maire de Levallois, condamné par le tribunal à cinq années pour fraude fiscale et prise illégale d’intérêts, toute honte bue organise une collecte pour payer sa caution, alors qu’il a volé le fisc, c’est-à-dire nous tous, afin de sortir de prison et profiter d’un appel en justice pour pouvoir se représenter. Essayez vous-même de voler une boîte de petits pois dans un supermarché et vous verrez!

Je ne me souviens pas non plus avoir entendu dire que le régime de retraite universelle à 67 ans serait appliqué aux ministres après 42 ans de versement et pas avant. Qui pour s’étonner après cela que l’électorat soit désabusé et perde confiance dans un monde politique si éloigné des préoccupations quotidiennes et s’auto-protégeant?

Autre temps, autres mœurs. Ce qui se constate au regard du politique trouve son prolongement dans le domaine sociétal. De la déclaration présidentielle dans une revue ouvertement hostile au port du voile dans la rue au « matraquage » quotidien de toute une presse y compris audio-visuelle se dessine dans notre pays une grave tension sociale qui stigmatise une religion et favorise les projets de ceux qui œuvrent à un retour à une forme de régime vichyste de sinistre mémoire, désignant des boucs émissaires qui seraient responsables de tous nos maux..

A force de jouer avec le feu à des fins électorales, le risque est grand que cela y aboutisse.

Le voile n’est nullement synonyme d’intégrisme islamiste. Il a été porté pendant longtemps par nos religieuses, l’est encore dans certaines congrégations. La meilleure façon d’en faire reculer la pratique n’est certainement pas d’en parler continuellement. Nous sommes heureusement encore dans une république laïque respectueuse des différentes convictions.

 

Évitons le clivage sociétal, apprécions plutôt l’humour irrévérencieux de COCO ci-dessus qui, à la manière de Marcel DUCHAMP ci-dessous, croque une Joconde voilée et androgyne qui ne manque pas de prestance.

ECO: Sur les épaules des Géants

Umberto ECO: «Sur les épaules de géants»

La marche des événements rattrape et justifie toujours l’essayiste qui, lui, avait devancé l’événement. Umberto Eco n’était pas seulement un romancier reconnu depuis le «Nom de la Rose» mais aussi un homme de culture et un linguiste émérite, visionnaire de son siècle.

Dans l’une des conférences qu’il avait données de 2001 à 2005 lors des festivals culturels de Milan, il rappelait que «les grandes révolutions coperniciennes se réclament toujours des géants qui les ont précédées». En revanche «les avant-gardes historiques du début du XX° siècle se voulaient libres désormais de toute vénération envers le passé, dans une forme extrême du parricide moderniste» qui ne va pas sans rappeler que depuis, et même avant les Atrides, le fils a toujours aspiré à tuer le père, (Oedipe a tué Laïos) et même la mère (rapports tragiques liant Néron et Agrippine) afin de s’attribuer leur pouvoir.

Une forme de réciprocité d’ailleurs dans le conflit de générations peut aussi conduire le père ou la mère à tuer les enfants pour conserver leur pouvoir. Ainsi Médée a-t-elle assassiné son frère encore enfant pour l’amour de Jason à qui elle a livré la Toison et Abraham se préparait-il à sacrifier sur l’autel Isaac afin de s’attirer le bonnes grâces de Yahvé qui a bien voulu retenir son bras.

Umberto ECO appelle cela «l’histoire des Géants et des Nains», histoire qui l’a toujours fasciné, les seconds tentant de se substituer aux premiers mais pour y parvenir devant se hisser sur leurs épaules. Rivalité historique des Anciens et des Modernes.

Il nous donne pour exemple Picasso qui revisite le visage humain à partir d’une méditation sur les tableaux des époques Classique ou Renaissance dont il s’appliquait à copier les traits afin de pouvoir s’en libérer et bousculer  tous les académismes.. Quant à Duchamp, il avait besoin de la Joconde pour mettre des moustaches à l’art et Magritte a dû représenter avec un soin méticuleux une pipe pour dénoncer l’illusion de la représentation.

Quiconque verrait un rapport avec des personnages politiques et/ou des événements actuels ne serait pas nécessairement dans l’erreur et pourrait par exemple s’interroger sur la façon dont certains ont su se hisser sur les épaules du père pour se substituer à lui, lequel père ayant ravalé sa déconvenue, se répand contre le fils assassin en philippiques aux flèches acérées alors qu’une Médée (féminine et non féministe) n’attend que son heure pour espérer revêtir la Toison, quitte à «dévorer» sa nièce après avoir renié Papa.

Dans un même ordre d’idées, nous disait-il en 2001, «de 68 à aujourd’hui quelque chose s’est produit comme un nouveau 68, je veux parler du mouvement no global, conduisant d’une intervention générationnelle à un mouvement composé d’adultes d’âge mûr dans lequel deux instances s’opposent qui ne sont plus un heurt de générations comme en 68, mais deux visions du monde, l’une fondée sur la possession des moyens de production et l’autre sur l’invention de nouveaux moyens de communication ».

EN 2018/19, est-ce pour partie un héritage? Superficiellement peut-être. Le mouvement actuel que n’a pu connaître Umberto ECO n’a rien non plus d’un mouvement juvénile. Il n’oppose pas tradition et innovation. Il s’appuie, malgré toutes ses ambiguïtés, sur des bases souvent maladroitement formulées qui relèvent tout autant de deux visions du monde opposant la possession des moyens de production et des richesses à l’aspiration sociale et écologique privilégiant l’Humain d’abord. En quelque sorte les géants qui prônaient la fin de l’histoire et le règne sans partage du libéralisme économique sont combattus par ceux sur les épaules desquels se hissent de fait les contestations actuelles alors que, disaient les premiers, ils étaient la figuration d’un vieux monde définitivement voué à l’oubli. Cela ne s’est jamais produit sans qu’il n’y ait quelques résistances exacerbées et quelques dommages collatéraux selon une expression bien connue des officiers américains lors de leurs interventions au Proche-Orient.

* Umberto Eco : « sur les épaules des géants » – Grasset                                 (édité en novembre 2018)

ARTAUD : Le MANUSCRIT de RODEZ

Le colloque annuel organisé par l’association Antonin Artaud se tiendra les vendredi 22 et samedi 23 février. Il débutera le vendredi à 18h30 à l’Hôtel de Ville de Rodez par le vernissage de l’exposition « Le bestiaire de Nathalie ». Ensuite, à 20h30, au centre culturel départemental, avenue Victor Hugo,aura lieu un spectacle théâtral « Un bec » interprété par Jean VOCAT dans le personnage d’Antonio LIGABUE, peintre helvéto-italien au parcours aussi atypique que celui d’Artaud.

La journée du samedi 23 sera consacrée à des interventions autour de l’oeuvre achetée par les archives départementales, oeuvre inédite  financée par le Conseil Départemental, intitulée: »Kabhar Enis-Kathar Esti ». Il s’agit de la première oeuvre écrite par Artaud, quelques mois après son arrivée rue Paraire à Rodez, après 6 ans d’internements et d’interruption de son travail littéraire.

Cette oeuvre quasiment inédite  traduit les blessures profondes, de tous ordres vécues depuis l’enfance par Antonin Artaud, souffrances physiques et morales, blessures qui cicatrisent mal, interrogations métaphysiques, un cri, une façon d’exorciser le mal à sa racine.

Antonin Artaud met tout cela en forme. De cette forme naît une oeuvre originale, singulière dont les Archives peuvent se prévaloir de l’avoir en leur possession comme marque de l’importance du passage chez nous durant plus de trois ans de celui qui, refusant toute sorte d’étiquette, toute classification, toute soumission à une quelconque mode  littéraire ou chapelle de pensée, fût-ce celle des surréalistes qui se réclamèrent pourtant de lui, a acquis tout autant comme poète que comme acteur, comme dramaturge que comme théoricien du théâtre, une notoriété internationale.

Un colloque exceptionnel auquel l’Association vous convie à venir nombreux. Vous pouvez vous inscrire par courriel: artaud.rodez@neuf.fr ou par téléphone: 06 79 20 12 07

Figaro d’Hier et d’Aujourd’hui

« FIgaro – ci   /   Figaro – là « : air connu mais gouffre abyssal entre l’ironie cinglante pratiquée par le  héros de Beaumarchais en 1778 et le contenu plus que convenu rencontré à notre époque dans le titre éponyme loin de l’audace du Barbier de Séville ainsi que plus généralement dans la presse actuelle.

Il y a des exceptions dont ce billet d’humeur de Maurice Ulrich dans l’Huma, rubrique « Cactus ». Le défi relevé par le journal de Jaurès daté du 15 janvier vient à point nous rappeler que de 1778, première du « Mariage de Figaro », à  Grand Bourgtheroulde        première  du grand débat lancé début 2019 par le Président Macron, suivie de Souillac puis de Bourg-de- Péage, le temps  n’est pas resté suspendu contrairement aux apparences.

Pour s’en convaincre, il convient simplement de rappeler la lettre de Louis XVI datée du 27 avril 1789, toujours citée par M. Ulrich dans l’Huma du 16 janvier 2019:

« Nous avons besoin du concours de nos fidèles sujets pour nous aider à surmonter toutes les difficultés où nous nous trouvons relativement à l’état de nos finances et pour établir,suivant nos vœux, un ordre confiant et invariable dans toutes les parties du gouvernement qui intéressent le bonheur de nos sujets et la prospérité de notre royaume ». (sic)

Convocation des Etats Généraux à laquelle le souverain mit fin, pensant que cela allait trop loin, sous la pression de la Noblesse et du Haut Clergé crispés sur leurs privilèges. On sait ce qu’il s’ensuivit.

L’histoire ne se répète pas, du moins de la même façon, mais la littérature, riche d’enseignements, est là pour nous donner à réfléchir et nous mettre en garde. L’appétit insatiable de profit d’un petit nombre, ceux que l’on désigne par le terme oligarchie, à trop protéger ses privilèges, ne risque-t-il pas de nous conduire vers des impasses?

Certes, je suis prêt à concéder que ce ne sont pas les trois milliards d’ISF rétabli qui résoudraient les fins de mois difficiles mais pour le moins permettraient-ils de résorber en partie le sentiment fortement ancré d’injustice sociale nourri par l’étalage indécent de salaires mirobolants et de parachutes dorés dont les bénéficiaires pratiquent l’exil fiscal. Ce serait un symbole fort. On se plaît à rêver à l’embauche de contrôleurs fiscaux nippons.

Ceci n’est pas la seule cause d’un malaise réel. Je souhaiterais, pour avoir œuvré aux prémices d’une politique prioritaire de la ville dans les quartiers où le seuil de pauvreté touche parfois près et même au-delà de 30% de la population, que le Grand Débat trouve dans ces quartiers une place première. Je sais que ce ne serait pas facile mais ces gens-là ont vraiment leur mot à dire. Cela donnerait certainement un éclairage nouveau et pourrait rendre, à condition de ne pas se contenter de réponses dilatoires, une certaine crédibilité à la politique.

Quoiqu’il en soit, ces quelques lignes peuvent d’ores et déjà  constituer très modestement de ma part un début de participation au débat.

 

Bonne et heureuse année 2019

 

Comme l’oiseau,renversons la table et bâtissons                             notre avenir commun.

 


Que  2019  vous apporte  santé, satisfactions, bonheur 

Du sens des mots et du non-sens des faits

« Humeur » et « humour » , tous deux du même radical issu du latin « humor » désignent indistinctement tout liquide dont entre autres « lait et larmes ». 

C‘est à l’évidence victime d’une irrépressible montée d’humeur noire qu’une mère aveyronnaise, plutôt atrabilaire, s’est vu condamner par le tribunal de Rodez, le 5 décembre, a une amende de 500€ (avec sursis tout de même) pour avoir cruellement frappé son jeune fils( certainement encore au biberon car ayant moins de 15 ans ) avec…une tapette à mouches. Il paraîtrait qu’elle aurait poussé le sadisme jusqu’à utiliser aussi le manche. Dommage que le fils ne puisse percevoir les 500€. Il aurait pu s’offrir une mobylette d’occasion, voire neuve en suscitant une nouvelle agression maternelle. ( le blog-noteur s’autorisant ce petit trait d’humour).

On ne sait jusqu’où peut aller se nicher l’humour. Le lendemain, le 6 décembre, à Mantes-la Jolie, 135 jeunes de classe terminale – qui prétendaient manifester leur désapprobation quant à PARCOURS SUP en bloquant l’entrée de leur lycée – étaient alignés face au mur,à genoux et mains dans le dos, par les CRS qui, ravis, pouvaient  s’exclamer, si j’en crois la presse: »Voilà une classe enfin sage ». Ce n’était plus de l’humeur ni de l’humour mais  carrément de l’ironie, « action qui consiste à dire le contraire de ce que l’on veut faire entendre afin de tourner les personnages en dérision, nous indique le dictionnaire, ce qui prouve que les CRS peuvent eux-aussi être de fins linguistes et qu’à leurs yeux le substantif « élève » peut après bien des années d’égarement trouver une nouvelle résonance dans le substantif « élevage »  de même radical si j’ose dire. N’appelle -t-on pas dans le milieu agricole « élèves » les veaux parqués en batterie? « Dura Lex sed Lex » nous rappellent les pages (pas si) roses du Larousse.

De la tapette au tonfa, du traumatisme physique au traumatisme psychologique, il n’y a qu’une question de degré, « même pas l’épaisseur d’une feuille de papier cigarette » dirait un personnage aux hautes fonctions plagiant un de ses prédécesseurs. D’ailleurs, Churchill lui-même, qui était fin adepte de la méthode dénommée « caning » pratiquée dans les « High-Schools » britanniques et, d’après lui, cancre notoire ayant largement expérimenté sur son dos et ses fesses les coups de cravache inhérents à ladite méthode , estimait que ça lui avait forgé le caractère.

Pour ma part, après avoir subi (vécu?) 5 années d’internat dans ce qui s’appelait à l’époque un Cours Complémentaire dans lequel on ne s’attardait pas à considérations plus ou moins « psychisantes » et où, pour tout débordement ( heureusement à ce tarif ils étaient rares ) soit on nous envoyait au mieux à genoux face au mur mains sur la tête,au pire une règle sous les genoux, soit on  nous donnait le choix entre une retenue ou une paire de claques, personnellement je penchais pour la seconde proposition sans m’en plaindre à domicile sinon la sanction eût été redoublée. Croyez-vous que ce soit cette « frappante » manifestation d’autorité qui m’ait plus tard convaincu de devenir à mon tour instit puis prof?

Depuis, les temps ont bien changé. « O tempora! O mores » s’exclamait Ciceron. Cependant, ils ressuscitent parfois de façon inattendue. Je ne peux donc m’empêcher de supposer que les CRS de Mantes aient fait leurs humanités dans l’établissement que j’ai connu lors de mes jeunes années sinon dans quelque régiment d’infanterie de marine façonné par les ex-guerres coloniales.

 

Paul Eluard: JUSTICE

Bien sûr, il y a  inévitablement des agitateurs ou des groupuscules qui essaient de récupérer ou de discréditer le mouvement de colère actuel en agressant des journalistes et en jetant des  clandestins en pâture à la vindicte afin de préparer le lit de ceux qui n’ont d’autre but que de nous acheminer vers une société dont nous ne voulons pas.

J’ai, comme tout un chacun a pu le faire, rencontré des « gilets jaunes » sur les giratoires. Ils avaient envie de s’exprimer. J’ai volontiers recueilli quelques propos formulés plus ou moins ainsi:

« Nous voulons que ça change. C’est insupportable. Nous gagnons peu et en fin de mois nous n’y arrivons plus. Nous irons jusqu’au bout ».

Cela va au-delà de la simple jacquerie. C’est une réelle  détermination. En effet, que sont devenues les promesses? Près de 40 milliards sont allés au CICE avec pour seuls résultats  l’accroissement des dividendes et le  peu d’effet sur la baisse du chômage, près de 70 milliards s’évaporent  annuellement en  fraude fiscale, et on soutire encore 2 ou 3 milliards supplémentaires dans la poche de gens modestes qui utilisent, faute d’autres moyens de déplacement, leur véhicule pour se rendre au travail.

Alors que cela est justifié officiellement afin de préserver l’environnement, à peine le tiers du montant des taxes ainsi soustraites est fléché vers cet objectif, le reste devant alimenter le budget afin de réduire la dette d’Etat pour le plus grand profit des banques.

 Il m’est apparu qu’au-delà de la diversité de leurs opinions, deux sentiments dominent.

Il y a inévitablement le sentiment d’injustice, le ressenti que tout va dans la poche d’un petit nombre et que la grande masse est ponctionnée jusqu’à, parfois, ne plus pouvoir faire face à l’essentiel pour enfants et famille.

En 1940, années noires, dans le Livre Ouvert 1, Paul Eluard écrivait:

 Justice
"Lourde image d'argent misère aux bras utiles
A l'ancienne à la simple on mangera les fleurs
Ceux qui pleurent de peine auront les yeux crevés
Et ceux qui rient d'horreur seront récompensés" 

Merci Paul, mon camarade que je n’ai pas connu, d’avoir ainsi su le dire. C’est on ne peut plus actuel.

Il y a de plus une immense défiance à l’égard des partis politiques et des syndicats dont ils estiment que tous, certainement à tort mais c’est aussi le ressenti, ont démérité et n’agissent que dans leur propre intérêt.

Ceci doit  nous interroger, nous conduire à nous remettre en question. Il faudra bien en tout état de cause trouver un débouché acceptable sinon à se jeter dans les bras des démagogues du type brésiliens, états-uniens ou parfois européens ce qui conduirait inévitablement à une impasse et pourrait devenir dramatique, une sorte de retour, même si en principe l’histoire ne se répète pas deux fois de façon identique, à la fin des années 1930.

"Remember! Souviens-toi"

de Charles Baudelaire: Flowers of Evil -Fleurs du Mal.  

Le Tartuffe: « Cachez ce sein…. »

Contribution versus Retenue: revoyons les fondamentaux !

26 août 1789, Déclaration de Droits de l’Homme et du Citoyen

Art 13: Pour l’entretien de la force publique, et pour les dépenses de l’administration, une contribution commune est indispensable; elle doit être également répartie entre tous les citoyens en raison de leurs facultés. (sic)

Art 14:Tous les citoyens ont le droit de constater par eux-mêmes ou par leurs représentants la nécessité de la contribution publique, de la consentir librement, d’en suivre l’emploi, et d’en déterminer la quotité, l’assiette, le recouvrement et la durée.(re-sic)

Consultons le Petit Robert, ouvrage de référence:

Retenue: action de garder, de retenir. Retenue à la source: prélèvement fiscal au moment où l’assujetti perçoit son salaire.

Contribution: part que chacun donne pour une charge, une dépense commune.

Mais tout cela c’était « l’ancien monde » , le monde du passé. Même si la contribution s’était muée, dans le langage, en impôt, restait la notion qu’il fallait payer, qu’on savait ce qu’on payait, et que même si la fraude fiscale, à petite ou grand échelle (à chacun selon ses moyens) était devenue un sport national, restait la notion de participation consciente aux affaires publiques.

En 2019, on entrera résolument dans l’ère de la modernité.    On prélèvera sur les salaires, pour ceux qui sont salariés, pour les autres ce sera certainement encore moins net.

Les salariés oublieront, dans quelques années, qu’ils « contribuent » et ne prendront en considération que la dernière ligne de la feuille de paie, en bas à droite. Les impôts deviendront, comme le disent les énarques, une marge d’ajustement masquée des finances publiques qui fluctuera au gré des conjonctures de façon moins voyante et donc moins contestée, politiquement plus confortable. Qu’on ne vienne pas nous dire que c’est pour le confort des contribuables. Pour cela il suffisait de mensualiser l’impôt et non de le prélever à la source. La contribution doit demeurer, à mes yeux, une démarche consciente de chaque citoyen comme les Constituants le souhaitaient en 1789.  

 A la désaffection de la participation citoyenne lors des scrutins électoraux s’ajoutera ainsi la désaffection de l’engagement de chacun aux dépenses publiques, comme déjà existe pour partie la désaffection de la contribution sociale aux dépenses de santé ou de retraites dont une part a glissé vers la CSG: bonne méthode pour supprimer les gestions tripartites et remettre aux mains du seul gouvernement, quel qu’il soit, l’administration de ce que 1936 et le Conseil National de la Résistance ont voulu consciemment participatif faisant de chaque salarié directement ou par délégation son propre gestionnaire des ressources sociales. Cela, malgré ses hauts cris, ne devrait pas trop vexer le Medef, et les compagnies d’assurances privées en quête du  » toujours plus ». Celles qui souffriront le plus de cette gestion seront, outre les salarié-e-s, les très petites entreprises souvent quasiment uninominales.

Hormis le fait qu’on ne puisse pas tout imputer au président actuel puisque l’idée a pris corps sous le mandat précédent, M. Macron se hâte de l’appliquer à son corps non défendant.

La  modernité qu’il nous promettait depuis sa candidature c’est « 1984 », Big Brother, une société de plus en plus centralisée, déshumanisée, ploutocratique, c’est-à-dire aux mains de la finance.

Pour conclure je souhaite vous faire part de ce qu’écrit Jean-Paul Dufrègne, député PCF de l’Allier dans l’HUMA du 6 septembre, paragraphe que je partage totalement:

« Le prélèvement sur la feuille de paie va faciliter la fusion de l’impôt sur le revenu et de la CSG. Des cotisations sociales ont déjà été transformé en CSG, modifiant totalement le financement de la sécurité sociale, ce que nous avions dénoncé………D’autre part, en confiant aux entreprises le soin de collecter l’impôt, on va affaiblir les services fiscaux qui ont aussi d’autres missions,  telles que la lutte contre la fraude  fiscale notamment. »

Hommages à Federico GARCIA LORCA

Ces jours-ci, on commémore la date anniversaire de son assassinat en 1936 par le franquistes, son double assassinat puisque son œuvre fut également interdite en 1953 .

Le 19 août, à 4h45 du matin, sur la route d’Alfacar, ils ont exécuté celui qui,non engagé mais fervent républicain,ami de Dali et Alberti, gardait son cœur et ses rêves d’enfance.

Comment pouvait-on assassiner celui qui écrivait: :

 

La luna vino a la fragua            [ La lune vint à la forge   

con su polisón de nardos.           avec sa jupe de tubéreuse

El niño la mira mira.               Et L’enfant l’admirait, mirait.

El niño la está mirando (…)         Et l’enfant restait fasciné…

 

Huye luna, luna, luna.                          Va-t-en lune, lune, lune.

Si vinieran los gitanos,                 S’ils arrivaient, les Gitans

harian con tu corazón                  feraient de ton cœur

collares y anillos blancos.(…)      des colliers et anneaux blancs

 

El jinete se acercaba,                   Le cavalier se rapprochait

tocando el tambor del llano.         en Jouant du tambour dans la plaine.

Dentro de la fragua el niño,         Dans la forge l’enfant

tiene los ojos cerrados.                 gardait fermés les yeux.

Por el olivar venian,                      Parmi l’oliveraie venaient

bronce y sueño, los gitanos.           Les Gitans de bronze et de rêve

Las cabezas levantadas                  la tête fièrement dressée

y los ojos entornados.                    et les yeux grand ouverts.

 

Cómo canta la zumaya,                 Comme chante le chat-huant,

¡ ay cómo canta en el árbol !         Oh,comme il chante sur son arbre !

Por el cielo va la luna                   dans le ciel passe la lune,

con un niño de la mano.               tenant la main d’un enfant.

 

Dentro de la fragua lloran              Les Gitans de dans la forge

Dando gritos, los gitanos.               poussent des cris en pleurant

El aire la vela, vela.                        et le vent la veille, veille.

El aire la está velando.                     La veillent l’air et le vent. ]

                    ( Federico García Lorca :Romance de la Luna)

 

 

Muerto cayó Federico

– sangre en la frente y plomo en las entrañas–   

…Que fue en Granada el crimen

sabed – ¡pobre Granada !- en su Granada.

                 (Antonio Machado:El crimen fue en Granada)

 

 

ET ce beau poème de Louis Aragon qui sait dépasser la haine, poème mis en musique et chanté par Jean Ferrat et Isabelle Aubret :

Tout ce que l’homme fut de grand et de sublime

Sa protestation ses chants et ses héros

Au-dessus de ce corps et contre ses bourreaux

A Grenade aujourd’hui surgit devant le crime

 

Et cette bouche absente et Lorca qui s’est tu  

Emplissant tout à coup l’univers de silence     

Contre les violents tourne la violence

Dieu le fracas que fait un poète qu’on tue (……)

 

Un jour pourtant un jour viendra couleur d’orange

Un jour de palme un jour de feuillages au front

Un jour d’épaule nue où les gens s’aimeront

Un jour comme un oiseau sur la plus haute branche.

                                (Louis Aragon: Le Fou d’Elsa )